Le bio chez McDo (ou ailleurs)… suite logique

Certains concluront là à un harcèlement publiphobe. C’en est. Et c’est bien parce qu’il faut offrir en réponse à la puissance symbolique de cette omniprésence publicitaire, qui ne représente pas moins qu’un organisateur de conscience – travail, consommation, rapports aux autres… –, qu’on s’autorise avec un certain plaisir à réitérer le diagnostic de maladie,  instillée en permanence dans le corps social.

Après donc la voiture qui soigne les bronchites, le fast food fait dans la bouffe saine: « du bio chez McDo, c’est naturel de leur faire plaisir » ((voir ?attachment_id=298)). Face aux critiques qu’on émettra, on entend déjà les cris d’orfraie de ceux qui voient dans leurs affinités électives avec la chaîne de « restauration » rapide la preuve de leur liberté individuelle; qui n’est trop souvent que le miroir réfléchissant de cette proverbiale liberté des marchés… en tout cas, la prédilection du consommateur « libre » de McDo délègue à la chaîne son immense puissance – il n’est pas seul évidemment, et non plus de loin le plus important, les structures économiques et financières ayant permis son déploiement.

Nous ne leur parlerons pas des ravages que ces choix individuels additionnés, donnant à voir la somme de cette collectivité des bouffeurs d’Happy Meal, ont sur les dimensions sanitaires, écologiques, économiques, et même politiques… Souvent, rien n’y servirait. Ils voient tellement dans l’acte de franchissement d’un fast food l’expression de leur liberté la plus profonde, qu’il serait vain et utopique de leur faire comprendre ce que ce comportement révèle de soumission acceptée.

On se limitera alors à démontrer aux bourgeois pressés l’aporie que contient en lui-même le principe commercial du « bio », en ceci qu’il porte en lui son impossible généralisation; et donc l’implacable vérité de sa délimitation bourgeoise. Il en est des produits estampillés bio comme des placements « éthiques », leur généralisation signerait leur fin – et donc ce vœu de généralisation, par ceux-là mêmes qui en tirent les plus grands bénéfices, s’avère une chimère absolue:

« Comme l’agriculture s’attaque d’abord aux terres les plus fertiles puis voit ses rendements baisser au fil de la mise en culture de terres de qualité décroissante, l’investissement éthique commence par sélectionner les entreprises les plus rentables mais devra, s’il entend se généraliser, compter avec les effets d’application d’une contrainte supplémentaire à des entreprises de rentabilité décroissante. S’il on prend au sérieux cette hypothèse de décroissance des rendements, l’investissement éthique vit un âge d’or appelé à se clore bientôt et devra compter tôt ou tard avec la déconnexion de la moralité et de l’intérêt. Retour à la case départ et résurgence des doutes quant à la spontanéité de la moralité quand disparaît l’intérêt à être moral… ((Lordon, F., « Fonds de pension, piège à cons ? », Editions Raisons d’Agir, Paris, 2000, p.114)) »

Ces institutions ne sont donc que des béquilles confirmatives de l’ordre établi, accessibles aux plus privilégiés, et qui se pérennisent tant qu’elles ne remettent pas en question cet ordre, dont son axiome fondamental : le profit à tout prix et à court terme ! Exit le bio une fois qu’il ne rapportera plus, ou, plus probablement, circonscription de sa consommation aux plus privilégiés tout en maintenant l’illusion d’un prochain usage généralisé.

Ceux qui souhaitent d’ailleurs de leurs vœux les plus pieux cette extension planétaire et interclasse semble ignorer l’effet même qu’aurait sur les rapports de production une alimentation bio comme ils aiment l’appeler, c’est-à-dire sans intrant chimique, respectueuse des sols et de leur régénération, et par extension des hommes – produisant et consommant:

« Il est généralement reconnu que la généralisation de l’agriculture biologique nécessiterait de consacrer beaucoup plus de temps au travail de la terre, à rebours de l’« économie de temps » qui a guidé l’essor de l’activité économique depuis plus d’un siècle et demi. Les économistes peuvent bien reprendre leurs calculettes, le fait est là : dans les pays occidentaux, pour produire mieux (en qualité), il faudra produire moins. Produire moins et moins vite parce que les écosystèmes donnent moins et moins vite que ce qu’on cherche à leur prendre. Et « produire moins » a peu de chance de faire croître le PIB ((Bayon, D., Flipo, F., Schneider, F., La décroissance. 10 questions pour comprendre et débattre, Editions La Découverte, Paris, 2010, 7p.73)) …»

Oh non alors! Ne le savaient-ils pas, ces laudateurs de l’alimentation bio? Que ce dernier n’était qu’un concept marketing, et qu’ils n’avaient rien inventé, sinon de fournir une bouffe « à part » pour les nantis et informés qui ne voulaient plus de celle dont ces mêmes laudateurs  avaient concouru à harmoniser la toxicité. Ce n’est certes pas la première fois qu’on rencontre ces pompiers pyromanes, ces zélateurs du tout profit qui détruit tout, qui tirent encore bénéfice de leur zone protégé bio, qui n’est « protégé » que par cette dangerosité créée, un peu à la manière des mafiosos qui monnaient la protection d’une menace qu’ils s’emploient à générer, ou encore d’un richissime actionnaire de BP, propriétaire de plages dans la partie septentrionale du golfe du Mexique, qui réserverait une zone immaculée pour privilégiés, coincée entre les sables morts du pétrole.

Et dans ce type structurel, tout est à l’avenant. Donc aussi le commerce équitable… McDo propose déjà son café équitable « Max Havelaar ((voir « Max Havelaar ou les ambiguïtés du commerce équitable, Monde Diplomatique, septembre 2007 » )), et oui, « c’est naturel de leur faire plaisir« , mais à qui au fond? Aux consommateurs? Aux actionnaires ou aux petits producteurs du Sud. Ses paradoxes nous éclairent: « Le commerce équitable peut-il rester vertueux si, pour assurer des débouchés aux petits producteurs de café, de riz ou de coton, il choisit de faire affaire avec les mastodontes de la distribution ((Voir « L’économie sociale, une réponse au capitalisme financier, Monde Diplomatique, juillet 2009. » L’auteur ajoute: « tout comme Starbucks, le leader mondial de l’« espresso bar » avec ses sept mille cinq cents points de vente répartis dans trente-quatre pays, que l’écrivaine Naomi Klein qualifie de « précurseur dans l’art moderne de l’horaire [de travail] flexible ». Accor, dont la grève des femmes de chambre a, durant de longs mois, défrayé la chronique, sert à son tour du café Max Havelaar au bar de ses hôtels. Nestlé, l’entreprise la plus boycottée par les consommateurs britanniques, revendique elle aussi son partenariat avec Max Havelaar»)) »? Non, assurément! Mais s’étonner qu’il le fasse élude une réalité bien plus dérangeante: il ne pouvait que le faire! Ces mesures palliatives que sont commerce équitable, bio, banques éthiques portent en eux une révolution qui n’aura pas lieu, et donc tuent dans l’œuf quelques autres possibles subversions. Ils sont des accompagnateurs tranquilles du capitalisme.

Ils sont ce qui permet de ne pas voir…

A.P

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