Les experts du petit matin

«Les bourses ont encore plongé hier, avec deux grands sujets d’inquiétude : la crise dans la zone euro et le ralentissement de l’économie mondiale». Voilà comment ce 22 novembre, le journaliste radio introduisait la rubrique économique et l’interview qui allait suivre.

« Oui, et quelles peuvent être les conséquences économiques de cette situation financière pour la Belgique, reprenait celui qui allait mener l’interview, tout le monde se pose la question évidemment. Et bien c’est ce que nous allons essayer de voir avec Étienne de Callataÿ ».

Etienne de Callataÿ ? Qui peut donc-t’il être ? Quel peut-être cet individu qui va pouvoir, en toute impartialité, évoquer les conséquences économiques de cette situation financière pour la Belgique… un banquier ! oui, un banquier, économiste en chef de la banque Degroof.

L’homme va nous éclairer sur ce que doit faire la Belgique, en toute impartialité donc, dans l’intérêt du peuple, et non dans ceux de la banque Degroof, évidemment !

Journaliste (J.) : « Bonjour, vous êtes donc économiste en chef à la banque De Groof. Quand vous avez appris hier soir l’échec du formateur Elio Di Rupo, quelle a été votre première réaction ? »

Etienne de Callataÿ (EC) : « Se dire houlala, car vraisemblablement que la réaction ce matin sera négative en terme de coût de financement de l’État belge, c’est-à-dire de chacun d’entre nous ((Voilà, on vous l’avait bien dit, son intérêt est celui de la collectivité))». (…)

– J. : « Il y a presque un an déjà, une agence de notation ((« Sociétés privées spécialisées qui ont été créées pour conseiller les investisseurs institutionnels. Elles sont dominées par un oligopole très étroit fait de trois sociétés : Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings. Elles notent les obligations privées (émises par des groupes industriels ou des banques) et les obligations publiques. La notation (AAA, AA, A, BBB, etc.) prétend indiquer la qualité des titres de la dette en termes de risque pour les détenteurs. Plus le titre est risqué, plus la note est basse et plus le rendement est élevé ». Voir François Chesnais, Les dettes illégitimes, Quand les banques font main basse sur les politiques publiques. Éditions Raisons d’agir, Paris, 2011. Voir Glossaire)), Standards & Poors, nous menaçait d’une dégradation. Objectivement, ce n’est pas étonnant que ce ne soit pas déjà fait cette dégradation ? »

– E.C. : « A dire vrai, le coût de financement de l’État belge aujourd’hui correspond à une notation encore plus basse que celle que l’on a, donc au fait en la matière, les agences de notation font montre d’une patience assez inaccoutumée ».

Les agences de notation sont gentilles avec les États

– « Mais n’est-ce pas étonnant, poursuit le journaliste, la France est déjà pointé du doigt avec son triple A » ?

– EC. : « Oui, aujourd’hui il faut penser que les agences de notation sont gentilles avec les États ; qu’elles tardent à baisser leur rating de peur d’être encore davantage pointées du doigt et peut être encore soumises davantage à des contraintes quant à leur domaine d’activité ».

Pointant en tête dans le peloton des responsables de la crise de 2008, les agences de notation ont pourtant conservé leur pouvoir prophétique, et ne craigne donc pas tant que cela d’être soumise davantage à des contraintes. Pourtant, les pauvres – agences de notations – ont peur donc… mais restent gentilles et patientes, braves bêtes va ! Gentilles aussi sont-elles lorsque Standard & Poor’s, une des trois principales agences de notation, offre au Groupe Degroof, où Etienne de Callataÿ professe comme économiste en chef, « le titre de 1er belge et 2ème meilleur gestionnaire de fonds belge à gamme élargie sur une période de 5 ans ((http://www.sicavonline.fr/index.cfm?action=m_sg&id=397)) ». Non, non, n’y voyez pas là un conflit d’intérêt, ce n’est que pure récompense pour des travaux bien faits. L’agence de notation dit, la « réalité » fait, et la banque – Degroof notamment – est… contente !

Lorsque une agence de notation dégrade les titres de la dette souveraine d’un pays, elle assure aux banques qui détiennent ces titres de substantiels profits ; en effet, « plus la note est basse et plus le rendement est élevé ((François Chesnais, Ibid.)) ». Étienne de Callataÿ ne risque dont point de palabrer sur l’illégitimité de la plupart des dettes, de remettre en question les paradis fiscaux qui pour lui « ne sont pas au cœur du problème ((http://archives.lesoir.be/-il-faut-oser-une-rupture-_t-20090609-00NJ3F.html)) », car tout cela permet à lui et sa banque de s’enrichir, et facilite l’imposition de réformes présentées comme inévitables : « Un document du FMI de novembre 2010 explique clairement que l’endettement des gouvernements peut les aider à imposer les « réformes » propres au capitalisme libéralisé, financiarisé, et mondialisé : “les pressions des marchés pourraient réussir là où les autres approches ont échoué. Lorsqu’ils font face à des conditions insoutenables, les autorités nationales saisissent souvent l’occasion pour mettre en œuvre des réformes considérées comme difficiles, comme le montrent les exemples de la Grèce et de l’Espagne” ((François Chesnais, Ibid., pp. 8-9)) ».

Faut-il alors s’étonner que de Callataÿ évoque « un coût du vieillissement particulièrement lourd en Belgique », pour lequel il ne perçoit que ses solutions. Si « depuis la crise, le Programme alimentaire mondial a été divisé par deux : de 6 milliards de $ à 3 milliards » et que « pendant ce temps, cent fois plus, 680 milliards de $ ont été consacrés à sauver les banques européennes », que « l’Europe a diminué de 75 % ses aides alimentaires aux plus démunis – de 480 millions à 113 millions », mais que « pendant ce temps, la rémunération des banquiers français a bondi de 44,8% en 2010 » ((Tout les autres pays sont à l’avenant, Belgique aussi naturellement)), ce n’est pas grave, voyons ! A part les pauvres, tout le monde est content : FMI, OCDE, Banque centrale, Banque Degroof et consoeurs, gouvernements… et même la RTBF. La RTBF ? Ben oui, la RTBF ! qui est payée pour passer sa propagande publicitaire le matin et le reste de la journée afin de vanter les mérites de la banque Degroof : « Banque Degroof, gestionnaire d’avenir depuis 140 ans ((Entendu sur La Première, RTBF)) ». Et bien ça alors ! La RTBF ne fâchera donc pas trop ses employeurs, et invitera même ceux-ci pour nous expliquer la crise et les remèdes que nous devons prendre.

Encore quelques émissions, et de Callataÿ pourra escompter faire partie des nouveaux « gouvernements d’experts », à la mode :

Journaliste : « On installe beaucoup de gouvernement d’experts dans plusieurs pays, en admettant que vous soyez en Belgique également un de ses futurs experts, quelle est la toute première mesure que vous prendriez ? L’austérité ? »

– E.C. « Oui, mais je pense que ce qui est fondamental c’est de donner du sens à l’austérité. Ce n’est pas l’austérité pour l’austérité, et c’est aussi privilégier le long terme, c’est en réformant donner un horizon qui se dégage à la jeunesse, c’est donner un horizon à ceux qui travaillent et qui se posent des questions sur le paiement de leur retraite dans 15 ou 20 ans. Donner du sens à l’austérité, ce n’est pas du masochisme, c’est quelque chose que nous nous devons de faire pour que demain les choses aillent mieux ».

Outre qu’on pourra se questionner de la différence entre une pub pour la banque Degroof sur la RTBF et une interview d’un de ses directeurs, Monseigneur Callataÿ nous enseigne ici les vertus de l’antinomie : donner de l’espoir à la jeunesse avec le chômage, l’intérim et la précarité ; rassurer les futurs retraités en leur donnant pour exemple actuel les retraites à 300 euros des pensionnées Grecs, portugais, Slovaques et autres, pour leur donner définitivement envie… de ne plus travailler ! « Donner du sens à l’austérité, c’est pas du masochisme » alors… lorsqu’on gagne ce que gagne Callataÿ et ses potes, et qu’on fait sa fortune sur la misère des autres. Mais il nous rassure : ce n’est pas l’austérité pour l’austérité ! Ouf, on a eu chaud. On pensait que l’horizon qu’il évoquait s’arrêtait au mur d’en face.

Reste une solution provisoire, mais dilatoire : l’absence de gouvernement ! Lorsque le journaliste demande à E.C si l’on peut se permettre de sauter l’étape où l’on devra, le 15 décembre, montrer à l’Europe, comme un bambin montre un bulletin à ses parents, notre budget, celui-ci dévoile les clés de notre résistance belge à l’austérité : « Oui, et ça montre bien les limites du pouvoir de sanction de l’Europe en la matière, puisqu’on ne peut pas reprocher à la Belgique de ne pas avoir de budget, elle n’a pas de gouvernement. Donc on n’imagine même pas qu’il y ait une logique démocratique à venir sanctionner le pays pour autant. Donc l’Europe doit attendre que le processus de négociation belge avance et arrive à son terme. C’est comme ça que ça doit aller »; Sans tenter de comprendre ce qu’est une logique démocratique pour Etienne de Callataÿ, pour qui un gouvernement démocratique permet d’imposer des mesures non-démocratiques là où son absence permet de s’en prémunir, on tirera enseignement de ses propos.

Ne soyons pas pressés d’avoir un gouvernement, cela nous laisse plus de temps pour fourbir nos armes.

Soyons toutefois sûr aujourd’hui que, devant la proximité d’un budget ficelé et d’un gouvernement, médias, politique et très certainement populace, fêteront joyeusement l’« indispensable » sacrifice qu’ils font à la bête Europe assoiffée:

« L’indispensable a été fait. Trop tard, sans gloire, dans une incroyable atmosphère, mais les négociateurs ont accouché de quoi satisfaire dans l’immédiat aux exigences de l’Europe ((Béatrice Delvaux, http://www.lesoir.be/debats/editos/2011-11-28/sauve-qui-peut-879810.php.)) »

A.P

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