Bonjour Monsieur V.,
Je suis actuellement étudiant et effectue un travail de fin d’année sur les associations qui défendent le droit des automobilistes. Serait-il possible que vous m’accordiez une interview par téléphone?
Suite à ce message ((Cet article porte sur une interview d’une représentant d’un lobby automobile. Les lecteurs consulteront avec intérêt la première partie de cette série: http://carfree.free.fr/index.php/2011/10/06/la-force-du-nombre-1/)), monsieur V. me contactera par téléphone afin que nous nous rencontrions. Une de ces premières questions, qu’il me posera à nouveau durant l’entretien, fut de savoir si j’avais une voiture ((Je lui répondrai que oui, dans un souci stratégique)).
Me voilà donc parti à la rencontre de monsieur V. Nous avons rendez-vous à 10h30 dans un établissement. 10h25, mon téléphone sonne : « j’avais une réunion prévue de 9h00 à 10h00, je pensais être à l’heure, mais là… tout est bouché, y’a des files partout »… Il s’excuse et me dit qu’il risque de ne pouvoir me rejoindre à l’heure et au lieu convenus qui se trouve à… 20 minutes de vélo du lieu où il est. « Restez en ligne, me dit-il ! Attendez ! A droite, à gauche, ahhh !, ça va ! Je m’engage sur Montgomery ((Grande artère automobile bruxelloise)), je pourrai normalement être là pour 11 heures ».
Dix minutes passent, il me rappelle : « ça y est, c’est dégagé, je serai là ».
Ouf, sauvé, « mon permis, ma liberté »…
L’homme arrive à l’heure, plein de bonhomie, ravivé par mon intérêt juvénile pour la chose qui lui l’intéresse : la défense des automobilistes et de leur espace.
Il ne manque toutefois pas de me faire remarquer que ces vicissitudes automobilistiques, qui ont failli nous coûter notre rencontre, « ferait un sujet intéressant pour mon travail de fin d’étude ». Certes! Pour l’instant je l’étudie lui, mais ça, il ne le sait pas ((On pourra juger du caractère moral ou non de la technique journalistique, j’en conviens)) !
Dès le départ, il m’expliquera que « dans le cadre de l’association, on veut réobjectiver le débat ».
A vous d’en juger ((Cet entretien, vu sa longueur, fera l’objet de plusieurs billets, à la suite desquels je me ferai le plaisir d’une petite conclusion, personnelle…))…
– Espritcritique.be : Votre association défend le droit de rouler et de se parquer, selon vous, le droit de rouler et de se parquer, par exemple à Bruxelles, n’est pas encore acquis, et que faites-vous pour concrétiser ces droits ?
– Monsieur V. : En fait ces droits étaient acquis et ces droits ont été depuis 10 ans progressivement mis en cause. Ils existaient naturellement je dirais, ça fait partie de la vie d’une population moderne dans un pays développé, même dans les pays sous-développés, tout le monde roule ! Et donc c’était naturel. Mais il y a peut-être une dizaine d’années, il y a une idéologie qui s’est mise en place, surtout en Europe de l’ouest, et qui conteste même le droit de rouler. Et c’est pour cela que nous avons créé notre association.
Nous sommes tout à fait favorables au développement de transports en commun, vous savez c’est pas les cyclistes qui doivent me faire la leçon, je roule depuis des dizaines d’années à vélo; j’ai pas eu besoin de tous les slogans ni de toutes les nouvelles pistes cyclables pour rouler à vélo.
– Espritcritique.be : Vous roulez comme loisir ou pour vos déplacements ?
– Monsieur V. : Non, surtout pour les déplacements, pour les courses, pour le travail, pour les rencontres… Ce qu’on peut faire à vélo je le fais à vélo, parce que ça me donne une bonne condition physique aussi, je ne fais pas ça par manie (sic ((Nous éviterons de mettre des “sic” à chaque fois que nous serons étonnés… cela prendrait trop d’espace. A vous donc de les placer mentalement où il vous sied)) ).
Ça fait partie de la vie d’une population moderne dans un pays développé, même dans les pays sous-développés, tout le monde roule ! Et donc c’était naturel
– Espritcritique.be : Pourtant souvent les automobilistes et les cyclistes sont, en mésentente disons ? Comment vous expliquez cela ?
– Monsieur V. : Ecoutez, je pense qu’il faut objectiver comme dirait votre professeur. La plupart des automobilistes ne sont pas anti-vélos, un certain nombre roule de temps en temps à vélo. Mais ils trouvent que les vélos sont indisciplinés, ils se croient parfois tout permis. Et je crois que beaucoup de cyclistes ne sont pas anti-voitures, d’ailleurs ils roulent aussi, il faut dire les choses comme elles sont : ils profitent des voitures des autres ou même parfois ils roulent dans leur voiture. Donc, il ne faut pas dire « les cyclistes et les automobilistes sont en guéguerre », ça ce n’est pas vrai, c’est une caricature.
Il y a un noyau de cyclistes idéologues, ça c’est vrai – je commence par dire qu’il y a une minorité d’automobilistes qui n’ont rien à faire avec le vélo et qui sont énervés par l’existence des vélos et qui sont anti-vélo, mais c’est une petite minorité, il faut objectiver. Et du côté des cyclistes, je crois que c’est une minorité, mais pas si petite que ça, qui est idéologue, passionné, et qui considère que rouler à vélo c’est vertueux et rouler en voiture c’est mal, moralement mal. Et donc là ça pose un problème dans la mesure où on observe que les citoyens sont libres… jusqu’à nouvel ordre ; ils peuvent prendre la voiture, le transport en commun, le vélo ((Il oublie aussi qu’ils ne peuvent rien « prendre »… et s’en aller à pied)). Moi je veux, comme vous le disiez, objectiver, ce mot me plaît beaucoup, et qu’est ce qu’il y a : les Bruxellois, qui sont libres jusqu’à nouvel ordre, ils font 60% de leur déplacement en voiture, environ 15-20% en métro, 10% en bus, 10% en tram et, on peut discuter, 3 ou 4 % à vélo ; nous on dirait plutôt moins que trois, d’autres se vantent et disent « c’est plus que 4 ». Alors ça a doublé puisque avant on était à 1.5 et maintenant on est à 3, ça a doublé en 10 ans, je veux bien, m’enfin! faut voir à quel niveau on se trouve. C’est ça l’objectivité ((voir l’introduction du premier article)), donc faut pas venir dire que 3% ou 4% doivent faire la loi ! C’est ça, c’est tout ce que je dis, mais moi je roule beaucoup à vélo.
– Espritcritique.be : On considère que le nombre de voitures va doubler je pense, d’ici à 2050, est-ce que ça c’est un fait ? Et est-ce que le fait que l’on considère que le vélo c’est très marginal et que ça ne va pas augmenter, est-ce que ce n’est pas une façon de se soumettre à une réalité concrète ((J’aurais aimé parler d’une dictature de la réalité)), c’est-à-dire : « la voiture augmente de toute façon, y’a rien à faire, et le vélo c’est marginal et on ne pourrait pas faire beaucoup plus pour le vélo » ?
– Monsieur V. : Je crois que c’est l’approche, que j’espère vous allez prendre pour votre mémoire, qui est une approche factuelle-opérationnelle ((Là j’aurais mis un sic)). Et l’autre approche, c’est idéologique, c’est de dire « on roule en voiture c’est pas bien », on a trouvé tous les prétextes, au début c’était fondé dans la mesure où les voitures polluent ; et dans la mesure où les voitures polluent encore, j’accepte volontiers la critique, je m’y joins à la critique. Moi j’ai été un pionnier des voitures propres, personnellement j’ai payé de ma poche un filtre pour ma voiture diesel ; donc j’ai pas demandé des subsides… à l’époque y’avait pas de subsides. Donc j’ai été un pionnier de la propreté, en général, des voitures propres en particulier.
Mais il y a face à cela deux approches : l’approche négative qui est de dire « les voitures ça ne sera jamais propre », idéologique, et puis il y a l’approche volontariste, technique, qui dit « on doit rendre les voitures propres », ça c’est la solution positive, voilà. Et les voitures sont de plus en plus propres, vous pouvez regarder les chiffres, j’espère que vous le ferez, peut-être pour mettre ça dans votre travail, la pollution créée par les voitures est tombée d’un facteur 20/30, depuis 30 ans, depuis 20 ans… ça n’est plus comparable.
– Espritcritique.be : Justement alors, je saute sur une question : selon ce qu’on peut lire sur votre site, « la voiture électrique serait plus propre, je vous cite, plus silencieuse, émettrait moins de CO2, impliquerait une moins grande dépendance au pétrole ».
– Monsieur V. : mais bien sûr !
– Espritcritique.be : Alors, est-ce dire que les voitures actuelles majoritairement à essence et diesel polluent, sont bruyantes, émettent beaucoup de CO2 et impliquent une grande dépendance au pétrole. J’ai retourné la…
– Monsieur V. : Oui, oui, mais c’est-à-dire que… « une grande » ? Tout est relatif. Encore une fois, je suis ingénieur, j’ai fait des développements technologiques et je suis fier de l’avoir fait, et je suis fier de mes collègues qui ont fait encore mieux que moi. Et donc les ingénieurs de l’industrie automobile d’abord ont inventé le moteur, fallait le faire inventer un moteur ; et puis ils n’arrêtent pas d’améliorer la propreté des voitures, ça c’est une donnée. Le point culminant, c’est la voiture électrique, pour le moment, on trouvera peut-être encore quelque chose après…
– Espritcritique.be : Et la voiture actuelle alors… parce qu’il y a 0.1% de voitures électriques, même pas ?
– Monsieur V. : Sur la voiture actuelle, je crois qu’il faut dire deux choses. Moi, je suis pour le principe, vous dites d’objectivité, pour le principe de réalisme. La voiture actuelle, la voiture à moteur à combustion, ça c’est clair, elle va rester des décennies ! Donc renseignez-vous, il n’y aucun indice que cette voiture pourrait disparaître dans un avenir prévisible. Aucun ! Ce qui est vrai c’est que le combustible, le carburant, c’et comme vous voulez, venant du pétrole fossile, va se réduire un peu, beaucoup ? Un peu ? On discutera, mais ça va se réduire. Mais il est évident que vous avez une panoplie de carburants de remplacement. L’Allemagne nazi pendant 5 ans a fait la guerre, 1940-45, sans pétrole brut, il n’y avait pas accès pratiquement.
– Espritcritique.be : La technologie est déjà là ?
– Monsieur V. : Elle était là il y a 50 ans, 60 ans, on transforme du charbon en combustible pour moteur de voiture.
– Espritcritique.be : On parle beaucoup évidemment du pétrole, parce qu’on est dans une société du pétrole, on a en besoin pour tout : les vêtements, les transports, l’alimentation… on parle peut-être moins du charbon ou d’autres énergies, mais il semblerait que toutes commencent à manquer ; on a peut-être trop puiser dans les ressources de la terre, et même le charbon…
– Monsieur V. : Je vois que vous avez été interviewer des idéologues, hein ! Oui, oui. Mais je suis content de pouvoir rectifier tout cela. Vous devez lire des livres, comme le professeur a dit, objectiver. Et donc le pétrole, disons minéral, il y en a encore pour des décennies. C’est complètement faux de dire qu’on l’épuise. Prenez tout ce qui se construit comme nouveaux puits, en Amérique Latine, au niveau du Brésil, au niveau du golfe du Mexique, au niveau du Vénézuela, pour ne citer que ceux-là, c’est énorme, c’est énorme ! Alors dire que le pétrole s’épuise, ça c’est un mensonge. Par contre, il pourrait être plus cher qu’avant, si on va le chercher dans des régions où c’est plus difficile de l’extraire, le prix va augmenter, ça c’est vrai. Mais dire qu’il n’y en plus ou qu’il n’y en aura plus, ou qu’on l’épuise, ça c’est complètement faux.
– Espritcritique.be : Ca me fait penser à quelque chose, j’avais entendu que l’Equateur avait proposé de ne plus faire de recherches pétrolifères, de ne plus creuser dans les sols sous condition que l’Occident lui verse un revenu parce qu’il n’exploite plus le pétrole et donc ne pollue plus ((Projet écologique Yasuni ITT, soumis par l’Equateur aux Nations Unies, de maintenir sous terre dans la région amazonienne une grande quantité de pétrole brut en échange d’une contribution financière internationale)). Qu’est ce que vous pensez de ça alors ?
– Monsieur V. : Je pense que ça, c’est un problème tout à fait marginal par rapport au problème de votre mémoire. On peut entrer dans une discussion là-dessus mais vous, vous voulez…
– Espritcritique.be : … oui c’est vrai qu’il faut rester dans le…
– Monsieur V. : … vous habitez à Bruxelles, alors il faut éviter de dévier.
– Espritcritique.be : Non, mais c’est parce que la mobilité à Bruxelles, on s’en rend pas compte quand on roule évidemment, mais l’essence elle ne vient pas de Belgique, elle vient de loin, donc si des gens en Equateur décident de ne plus exploiter leurs ressources pétrolières, ça va avoir un impact sur le prix du pétrole.
– Monsieur V. : Je pense qu’il y a des gens extrêmement intelligents, habiles, qui font mousser tous ces sujets dont vous parlez.
– Espritcritique.be : Vous croyez que c’est de la manipulation ?
– Monsieur V. : Naturellement ! Lisez les ouvrages… différents, et vous allez voir la surabondance de pétrole dans le monde, d’autant plus qu’on a même pas encore touché au pétrole du Pôle Nord ou du Pôle Sud, où ça fond. Moi je fais pas de critique ou d’appréciation sur le réchauffement climatique ; mais donc il y a là des gisements énormes.
– Espritcritique.be : Donc, disons que c’est vrai que la fonte des glaces, c’est triste, mais ça donnera accès…
– Monsieur V. : …aux nouvelles ressources ! Ca c’est une piste. Mais on n’a pas besoin de la fonte des glaces. On a tout plein en cours de prospection. Le Brésil est champion ; y’aura la fonte des glaces en plus et y’a surtout aussi d’autres ressources comme les sables bitumeux ((Voir http://www.monde-diplomatique.fr/2010/04/RAOUL/18996, et pourquoi pas, si vous ne l’êtes pas encore, vous abonnez en même temps au Diplo… ? http://boutique.monde-diplomatique.fr/abonnements/))…
– Espritcritique.be : Au Canada !
– Monsieur V. : Au Canada ! Et donc on peut faire le tour de la planète et le tour des technologies et la conclusion c’est : « Il y aura toujours de combustibles pour les moteurs à combustion interne comme ceux que nous connaissons ». Y’a le gaz, n’oubliez pas, on peut faire tourner les moteurs au gaz, et c’est beaucoup plus propre d’ailleurs. Donc le slogan dit : « tout s’épuise », et c’est un slogan que j’ai dû contrer comme d’autres d’ailleurs, et bien c’est de la désinformation. « Le réchauffement, la planète s’épuise, y’aura plus moyen de rouler en voiture donc ne roulons plus »… ça j’espère que vous n’allez pas tomber dans le panneau ; Alors je vous donnerai des livres que vous pouvez lire, avec des données objectives, scientifiques.
Je vois que vous avez été interviewé des idéologues, Mais je suis content de pouvoir rectifier tout cela
En plus de cela, y’a tous les combustibles nouveaux. Quand on avait dans le temps pour s’habiller du tissu et du coton – et puis le coton n’est pas épuisé mais quand même –, qu’est ce qu’on a inventé : tout, tout, toutes les fibres synthétiques ; tous les produits, polystyrène, polyéthylène…, tout cela c’est des nouveaux matériaux. Et donc il est évident qu’il peut y avoir des nouveaux carburants… on peut faire du pétrole, on en fait ! À tort ou à raison, à l’aide de canne à sucre, à l’aide d’huile, de palme notamment. Donc ces techniques existent (…) Comment peut-on dire qu’on est en plein épuisement. Alors il faut pas aller chercher les terrains où on fait les aliments dont les gens ont besoin…
– Espritcritique.be : les agrocarburants…
– Monsieur V. : Oui, ça c’est les agrocarburants… ce n’est pas nous les ingénieurs qui avons voulu, ce sont les idéologues qui ont voulu les agrocarburants soi-disant pour préserver les ressources ! Maintenant ils en sont revenus : le rendement d’un agrocarburant est lamentable. Vous consommez un litre d’agrocarburant pour fabriquer l’autre litre, ou à peu près. Donc ce n’est pas simple. Je vous invite globalement à faire le partage entre des données scientifiques, technologiques et objectives, et des intrusions idéologiques… ils sont champions pour faire ça ! Ca y faut pas mettre dans un mémoire.
– Espritcritique.be : Mais si on prend la question sur le marché de l’offre et de la demande, l’augmentation du prix du pétrole est quand même due à une croissance de la demande, puisqu’il y a de plus en plus d’automobilistes, et en même temps à une diminution de l’offre ? Ca vous êtes d’accord ou pas ?
– Monsieur V. : non, non, non. Elle n’est pas due à une diminution de l’offre, elle est due à une augmentation de la demande.
Y’aura la fonte des glaces en plus et y’a surtout aussi d’autres ressources comme les sables bitumeux
– Espritcritique.be : Certains parlent du « pic du pétrole », qu’on serait arrivé dans la deuxième phase…
– Monsieur V. : Qu’est ce qu’on vous a fait lire, y sont forts ! Ils ont une longueur d’avance sur moi là.
– Espritcritique.be : Il faut même pas lire là, certains le disent, moi je veux savoir votre avis. Je dis pas que j’adhère à cette thèse ((Il faut rester stratégique !)).
– Monsieur V. : Il se peut qu’il y ait un pic de pétrole, mais la méthode qui… le terrorisme intellectuel, il faut l’appeler par son nom, qui consiste à jeter des contrevérités, euh… inventer des beaux concepts, avec habilité : « pic du pétrole », enfin tout ce qu’on veut… pour faire conclure qu’il ne faut plus rouler en voiture, c’est intéressant à étudier sur le plan intellectuel… ils sont très forts ! Ca prend en Europe de l’ouest avec des esprits un peu philosophe, comme nous l’avons toujours été, tout cela ne prend pas en Asie où ils sont beaucoup plus pragmatiques, ni en Amérique où ils sont beaucoup plus tournés vers l’économie, ni certainement pas au Brésil où dans des pays qui veulent se développer, qui n’en ont rien à faire de ces considérations là.
A suivre…
A.P