La propagande européenne, instrument de leur démocratie

Entrée de la gare du Luxembourg, Bruxelles, au cœur des institutions européennes, où transitent chaque jour des milliers de personnes

L’Europe s’arme des outils publicitaires pour taire la contestation et tromper les consciences. « Fini les idées reçues », injonction qui par un formidable retournement parvient à imposer l’idée que les positions critiques sur les politiques européennes sont des idées reçues, qu’elles n’ont donc aucun fondement, et ainsi de circonscrire péremptoirement des zones de pensées valable et non valable en se décrétant de cette première ; s’excluant de ce fait elle-même de la sphère des idées reçues, elle s’autolégitime par la délégitimation des points de vue opposés.

Ainsi, cette propagande, en invalidant la position contestataire sans argumenter, tente d’annuler la contradiction et de pourfendre le débat démocratique. Pourtant, ce message lui-même procède apparemment de ce que l’on pourrait définir comme idée reçue, ces idées « qui, quand vous les recevez, sont déjà reçues, en sorte que le problème de la réception ne se pose pas ((Bourdieu, P., Sur la télévision, Éditions Raisons d’Agir, Paris, 1996)) ». Ou en tous cas, il se veut une communication qui sous forme d’idée reçue – ou qui se veut, par cette communication même, se muer en idée reçue –, celle que l’Europe ne peut être ce qu’elle est, a pour fonction de transformer une idée critique en idée reçue, sous le faux prétexte de faire réfléchir. Il est donc une totale inversion de ce qu’il suppose défendre : le débat contradictoire et la capacité d’expression libre ; dont la seule fonction est de faire taire la contestation ne laissant pour seule croyance – se confondant au fait – que « ce n’est pas à cause de l’Europe », et le « encore » inversé laissant penser que ce ne l’a jamais été.

C’est donc l’Europe ((Précisons que l’utilisation de « Europe » comme sujet de l’action n’indique aucunement pour nous qu’elle constituerait un corps institutionnel indépendant ; elle reste la résultante de dispositions individuelles, à la fois chez ses dirigeants (officiels et officieux) qui lui donnent son orientation principale, mais aussi chez le peuple qui par son acceptation permet l’existence de l’institution)) que ses architectes proposent qui est la seule valable, même si taisant ce qu’elle est réellement ils tentent constamment de la faire passer pour ce qu’elle n’est pas.

L’Europe ne dit pas ce qu’elle fait ; elle ne fait pas ce qu’elle dit. Elle dit ce qu’elle ne fait pas ; elle fait ce qu’elle ne dit pas. Cette Europe qu’on nous construit, c’est une Europe en trompe l’œil ((Jennar, R.M., Europe, la trahison des élites, Librairie Arthème Fayard, 2004, citant Bourdieu lors d’une session préparatoire à un colloque sur la reconstruction juridique de l’Europe, p.10))

Par le choix même du support, l’organe communicant se pose d’ailleurs tacitement en agent de contrôle du message, il clôt le débat, ou en tous cas la possibilité de toucher officiellement et de manière aussi vaste un public. Il a tout du discours néolibéral qui « est un “discours fort”, qui n’est si fort et si difficile à combattre que parce qu’il a pour lui toutes les forces d’un monde de rapports de forces qu’il contribue à faire tel qu’il est, notamment en orientant les choix économiques de ceux qui dominent les rapports économiques et en ajoutant ainsi sa force propre, proprement symbolique, à ces rapports de forces (( Bourdieu, P., « L’essence du néolibéralisme », Le Monde Diplomatique, mars 1998)) ». Un groupe opposé à l’avis émis sur cette « réclame » ne pourrait en effet pas user d’un tel support s’il voulait partager  publiquement une idée contradictoire ; s’il le faisait, il se risquerait à passer par des moyens illégaux, en suraffichant par exemple un texte opposé, ou en taggant le message déjà présent, ce qui ne lui conférerait aucunement la même amplitude, outre que de certainement provoquer un effet contraire à celui désiré, à savoir que l’acte de contestation ne soit plus perçu qu’à travers sa dimension d’interdit.

La forme que prend la propagande actuelle dénote toutefois la crainte du pouvoir devant une remise en question trop forte de l’ordre établi par les hérétiques, avec le corrélat possible d’un suivi de masse, et plus ((Malgré les efforts de propagande de l’Union européenne, « toutes les enquêtes d’opinion en Europe indiquent un décrochage structurel des peuples avec le projet européen, notamment depuis 1992 et l’adoption du traité de Maastricht », Voir Cassen, B. (sous la direction), « En finir avec l’eurolibéralisme », Éditions Mille et une nuits, 2008, p.20))… Lorsque les moutons sont bien gardés dans la bergerie, pas besoin en effet de tenter de conjurer les blasphèmes des pieux vassaux en les citant puisqu’ils n’existent point ou n’ont pas lieu d’énonciation dans la cité. Les énoncant ici pour mieux les expier – crise financière, exclusion sociale, crise de l’automobile, crise du lait… à cause de l’Europe ((Outre que les termes sont déjà en eux-mêmes biaisés là où on présente comme « crise » ce qui a tous les contours de conséquences structurelles)) –, quand est-il au fond de ces réalités, au-delà de la fausse controverse possible par la seule invitation à débattre s’originant d’une volonté individuelle : « Accueil des groupes pour parler de l’Europe concrète » voit-on inscrit dans le coin  inférieur gauche de cette immense panneau… d’une formule ayant tout du cordial et équitable appel à l’échange – « accueil » – découle au fond un rejet dans le domaine de l’abstrait de tout ce qui n’est pas valorisation concrète de l’Europe. Même si, mais on envisage peu cette possibilité, l’échange proposé devait donner lieu à une critique objective – nous pensons que l’épreuve aura davantage comme fonction de tenter d’instiller plus profondément l’« esprit européen » –, le nombre saisissant cette « opportunité » serait minime par rapport aux récepteurs passifs quotidiens de cette « publicité européenne ».

Pour ne pas comprendre…

Ces images qu’on nous présente, séparées les unes des autres, conséquences de ce « quelque chose dont on ne sait pas quoi »… mais en tous cas dans lequel l’Europe ne tiendrait aucun rôle, ou sinon positif, donc ces images laissant penser que les effets qu’elles mettent en évidence seraient indépendants les uns des autres, éludent la responsabilité majeure qu’a eu l’Europe dans leur développement conjoint, du fait de son orientation néo-libérale. Mais nous comprenons mieux le rideau de fumée que celle-ci déploie derrière ses pratiques lorsqu’on sait que les mettre sur la sellette porterait un coup, peut-être fatal, à l’Europe, ou en tous cas à l’Europe des banquiers, pourfendant les fondements même de l’institution. « Cet évitement s’explique par la réticence à poser des questions iconoclastes, puisque elles touchent à la nature même de la construction européenne, non pas rêvée, mais réellement existante ((Cassen, B. (sous la direction), « En finir avec l’eurolibéralisme », op.cit., p.9)) ». C’est que cette Europe baignée dès son plus jeune âge dans une pensée des plus néo-libérale, est l’exact contraire de ce qu’elle dit être à la fois dans sa structure institutionnelle comme dans les politiques qu’elle met en œuvre.

En premier lieu, dans sa structure, où la Commission a l’initiative législative au détriment du Parlement et où tout le pouvoir quant à la politique de concurrence est entre ses mains. Pas toujours au fait des dossiers traités, les commissaires peuvent compter sur le zèle des quelques 20.000 lobbyistes qui font les trottoirs du Berlaimont et ses alentours et leur inspirent, ou leur rédigent, les actes législatifs. Pour sa part, le Conseil de l’Union (dit « des ministres ») qui regroupe en formation spécialisée les titulaires de portefeuilles nationaux, joue sur la double dimension des décisions prises soit à la majorité qualifiée soit à l’unanimité, choix stratégique dont la règle est simple : lorsqu’il y a risque potentiel d’une harmonisation vers le haut (soit ce que l’on appele un mieux disant social ou écologique) ou frein à une harmonisation vers le bas, le vote à l’unanimité est conservé de sorte qu’un seul opposant suffit pour remettre en cause la décision ; lorsque il est donné à l’avance que la majorité sera atteinte dans des domaines à libéraliser davantage, se fait le choix d’un vote à la majorité qualifiée. L’un et l’autre amenant à l’équation « “plus” d’Europe = “plus” de libéralisation » ((Ibid., p.131)). De son côté, la Cour de justice des Communautés européennes imprime dans le réel ses vœux en matière de « liberté », préférant bafouer le droit social et du travail au profit des intérêts des entreprises inscrites dans les traités européens. Le Parlement européen, cogéré par le Parti socialiste européen et le Parti populaire, ne porte aucune avancée sur ce qui serait une remise en question fondamentale de l’Europe, elle brode tout en gardant sa toile de fond néo-libérale. La Cour de justice des communautés européennes (cours de justice de l’UE après Lisbonne) dont les arrêts vont systématiquement dans le sens de la défense des « libertés fondamentales », de circulations des capitaux, des marchandises, des services, fait de même. Reste la banque centrale européenne, qui gère la monnaie unique, instance totalement indépendante des gouvernements et des citoyens, mais certainement pas des marchés financiers ((« Incarnation par excellence de l’apparente “neutralité économique”, les dirigeants de la puissante Banque Centrale Européenne, sont, eux aussi, particulièrement liés aux capitaux privés. A l’instar des dirigeants de la Réserve Fédérale des Etats-Unis, ils sont issus, pour la plupart, de puissantes sociétés financières. Geuens, G., Etats, capital et médias à l’heure de la mondialisation, Editions EPO, 2003. Voir, pour de nombreux exemples, particulièrement page 108 et suivantes)) ».

L’ensemble de ces institutions fait système, ce qu’on constaterait directement si dans un pays membre de l’UE, un gouvernement légitimement élu décidait d’aller à l’encontre des grandes politiques néolibérales, en privilégiant par exemple ses entreprises nationales par la pénalisation fiscale des délocalisations, ou d’interdire les produits à base d’OGM, ou encore en réservant ses marchés publics à des entreprises locales et solidaires. Très vite, « la Commission, ‘gardienne des traités’, saisirait la Cour de justice qui, dans un arrêt prévisible à 100%, condamnerait le gouvernement rebelle et lui infligerait de sévères pénalités financières s’il ne revenait pas à de meilleurs sentiments. La BCE s’étranglerait d’indignation. Et on peut compter sur la majorité, acquise d’avance, du Parlement européen pour voter une résolution stigmatisant des décisions ‘anti-européennes’, ‘populistes’, ‘nationalistes’, etc., de ce gouvernement ((Cassen, B., op.cit., p.129)).

Cette structure ne peut donc créer que ce pourquoi elle est faite, générer le produit de son fonctionnement. Antidémocratique dans sa nature, elle pourfend tout ce qui n’épouse pas son modèle. Ainsi du Non danois au traité de Maastricht en 1992, au traité de Nice en Irlande en 2001, au TCE en 2005 en France et aux Pays-bas, au traité de Lisbonne en Irlande en 2008… tous rectifiés comme il le faut, le peuple ayant commis une « erreur »  et choisi l’option erronée des « idées reçues »… ignorant, il fallait que ses maîtres infléchissent sa mauvaise posture. Ce n’est que comme ça que l’Europe fonctionne depuis ses débuts : exit la participation populaire !

Disons-le nous donc, sans crainte d’être taxés d’antieuropéen, formule de rejet de toute réflexion sur le fond : la construction européenne « n’a jamais été un processus à vocation démocratique, mais un outil utilisé par les classes dominantes européennes pour s’intégrer à l’évolution du capitalisme et en conforter la perpétuation ((Ibid., p.25)) ». L’Europe a donc engagé pleinement sa participation dans la crise financière, perpétuant à petit feu la crise sociale en faveur des plus riches, avec pour objectif « de se débarrasser de tous les mécanismes de protection, au sein et en dehors de la relation de travail, qui empêchent ou limitent la subordination de quelque activité humaine que ce soit au droit féodal de ponction sur la richesse collectivement produite ((Ibid., pp. 32-33)). Renversant le rapport des richesses produites au détriment du travail, elle a œuvré à l’exclusion sociale, au salariat précaire, working poor en voie de généralisation, au chômage… Europe anti-sociale confortée par les nouvelles intégrations, qui sous couvert de les réunir dans la grande famille sous quelques conditions cachait la réalité fondamentale du besoin impérieux des banquiers, financiers et patrons des pays les plus riches, de relancer la concurrence en mettant, face aux anciens membres, des pays aux pratiques moins regardantes, tirant ainsi vers le bas les acquis progressistes des autres ; les nouvelles adhésions accroissent ainsi très significativement les disparités salariales, fiscales et environnementales dans le marché unique et précipitent la dégradation globale en imitant le modèle le moins abouti. « Au bout du compte, la dynamique actuelle de l’intégration européenne nous conduit à nous battre pour que l’UE cesse de s’occuper de quelque ‘Europe sociale’ que ce soit, dans la mesure où son action se traduit mécaniquement par le démantèlement de tous le droits sociaux collectifs ((Ibid., p.42)) ».

Et tout est à l’avenant, en toute logique, et de ce fait « l’Europe écologique n’existe pas davantage que l’Europe sociale ((Ibid., p.57)) ». De nouveau, derrière les paravents trompeurs de  projets ‘verts’, tel que la « semaine européennes de la réduction des déchets », et autres supercheries, se dissimule la pollution organisée à des fins économiques, puisque c’est toujours la concurrence et le libre-échange auxquelles se subordonnent les autres valeurs. Et donc, au fond, ces « valeurs subsidiaires », en elles-mêmes, n’existent pas ; elles sont des instruments de propagande permettant d’adoucir l’âpreté des pratiques réelles ; écologie, social, solidarité, coopération… n’ont pas de fond, ils ne sont que des formes, des outils spécieux pour ne pas penser… Si toutefois ces valeurs semblent parfois primer dans certaines interventions européennes, c’est qu’elles n’ont aucune incidence sur la valeur mère. Par exemple, « une collectivité pourra s’approvisionner en produits biologiques pour la restauration, mais il est hors de question qu’elle puisse privilégier les circuits courts qui génèrent pourtant nettement moins de pollution. Des aliments biologiques produits industriellement et transportés par camion sur des milliers de kilomètres resteront en concurrence « libre et non faussée » avec des productions locales de qualité ((Ibid., pp. 52-53)) ». Cet approvisionnement bio sera l’étendard d’une Europe verte alors que concourremment les principes de la libre concurrence continueront de se déploier, tout à fait antinomiques avec l’idée de respect de l’environnement. Et le premier n’aura d’existence que pour le second qui permettra de taire ce dernier en focalisant l’attention ailleurs. On pourrait d’ailleurs avancer que dans cette pratique instituée de la dissimulation, le ministère de la propagande principal, et le plus idéologiquement développé puisqu’il doit gommer les contradictions les plus flagrantes de l’euro-libéralisme, est celui qui s’occupe de l’écologie, c’est-à-dire qui se préoccupe de ne pas s’en occuper en donnant l’idée qu’il s’en occupe.

Point donc de traitement séparé : ce qui est bon et ce qui est mauvais… on entend déjà : « mais c’est déjà mieux que rien »… pauvreté de la pensée qui laisse à croire, outre que de nous imposer ce binaire du « mieux » choisi par d’autres et du « rien » qui serait choisi par nous, que le peu qui est fait engrangera un changement global positif, éludant le fait que ce bien n’existe qu’en regard du néfaste et le justifie ((Ce n’est pas pour autant que le genre de pratiques prônées par les instances européennes, du type « jour de l’environnement » ou « semaine des déchets », ne contiennent pas en elles-même un ferment subversif lorsqu’elles ne sont plus extero-dirigées)).

Et point besoin non plus de faire primer l’un ou l’autre, le social et l’environnement, car là où l’un casque l’autre aussi, et l’Europe s’emploie avec acharnement à démanteler les deux ((Quant à cette réflexion sur l’inextricable lien entre l’individu et ce qui l’entoure et dont il fait partie, voir environnement et social : deux versants d’un même changement)). Ainsi en est-il du lait. L’équation crise du lait = Europe qu’on voudrait nous laisser « penser » fausse n’est pourtant que sauvagement vraie:

« Les produits laitiers constituent un cas d’école du démantèlement de la politique agricole commune (PAC) voulue par l’Union européenne, sous l’influence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : épargnés jusqu’en 2003, les marchés concernés ont subi, en un temps réduit, une dérégulation brutale. D’un côté, l’Union limite fortement son rachat du beurre et de la poudre de lait à des prix minimaux garantis — ce qui permettait pourtant de constituer des stocks régulateurs et de stabiliser les marchés (directement versée aux éleveurs, une subvention est censée compenser en partie cette diminution). De l’autre, elle décide de supprimer d’ici à 2015 les quotas laitiers grâce auxquels, depuis 1984, les volumes de production et les exportations sont maîtrisés et les dépenses européennes considérablement diminuées. Privés de mécanismes de régulation, les producteurs se retrouvent dans une situation de forte dépendance économique vis-à-vis de l’industrie laitière et de la grande distribution, qui font pression sur eux (…) La dérégulation du secteur laitier européen entérine ainsi le productivisme et la course à l’agrandissement. En France, le nombre d’exploitations laitières pourrait passer de quatre-vingt-huit mille à soixante mille en 2015 et à vingt mille en 2030. La taille moyenne d’exploitation serait alors multipliée par plus de trois ».

Et la suite logique ne tarde pas : mécanisation à outrance d’exploitation gigantesque, vente des excédents aux pays du Sud et destruction des marchés locaux internes, démantèlement des petites exploitations familiales, recours à de la main-d’oeuvre déqualifiée et sous-payée, reconfiguration des campagnes accompagnée de misère sociale des anciens paysans et de leurs « substituts » étrangers surexploités que les premiers, sous-informés par des médias vendus aux puissances de l’argent, rendront parfois responsables de leur situation; et, comme nous disions, l’un n’allant pas sans l’autre, destruction des écosystèmes par une agriculture intensive dont les intrants viendront en outre contaminer la nourriture que nous mangeons…, ici mais aussi là-bas où nous irons déforester pour que pousse le soja nécessaire à notre bétail, déforestation qui à son tour créera la misère sociale de paysans qui tenteront parfois de prendre la mer pour rejoindre « notre » eldorado et tenter de sortir de la misère que nous avons créé…  reçus dans des structures sociales palliatives urbaines où travaillent maintenant les anciens paysans chassés de leur terre… cercle infernal. Mais rassurons-nous! L’Europe palliera tout cela avec des sacs réutilisables, des voitures électriques, quelques productions bio, et autres façades cachant ce qui se trame à l’intérieur.

« Te Makkelijk » alors ((Indication en néerlandais sur le panneau, signifiant « trop facile »)) !

Voilà donc cette synthèse qu’a réalisé l’Europe : « édifié sur la base de ce que le capitalisme et le communisme avaient en commun (l’économisme et l’universalisme abstrait), ce système hybride emprunte au marché la mise en concurrence de tous contre tous, le libre échange et les maximisation des utilités individuelles, et au communisme la ‘démocratie limitée’, l’instrumentalisation du droit, l’obsession de la quantification et la déconnection totale du sort des dirigeants et des dirigés. Il offre aux classes dirigeantes de tous les pays la possibilité de s’enrichir de façon colossale (ce que ne permettait pas le communisme), tout en se désolidarisant complètement du sort des classes moyennes et populaires (ce que ne permettait pas la démocratie politique ou sociale des Etats-providence) ((Alain Supiot, « L’Europe gagnée par l’économie communiste de marché », Revue du Mauss permanente, 30 janvier 2008. 24-25, cité dans Cassen, B., op.cit.)) ». L’Europe manie les concepts pour illusionner le sujet ; il n’est donc pas « trop facile » de la mettre en cause, mais plutôt assez ardu de dépasser le prépensé qu’elle nous impose, sachant que la vision néo-libérale qu’elle dicte n’est pas seulement quelque chose de théorique vu que le sujet est quotidiennement baigné dans les pratiques d’une société capitaliste qui en elle-même offre de formidables occasions de limiter cette pensée.

La connaissance de ce qui est est donc un préalable indispensable à l’opposition, celle qui se fonde sur la critique des pratiques réelles de l’UE et ne s’assimile nullement à un anti-européanisme tel qu’ils veulent encore nous le faire croire.

À l’Europe que la pensée de banquier veut à toute force nous imposer, il s’agit d’opposer non, comme certains, un refus nationaliste de l’Europe, mais un refus progressiste de l’Europe néolibérale des banques et des banquiers. Ceux-ci ont intérêt à faire croire que tout refus de l’Europe qu’ils nous proposent est un refus de l’Europe tout court. Refuser l’Europe des banques, c’est refuser la pensée de banquier qui, sous couvert de néolibéralisme, fait de l’argent la mesure de toutes choses, de la valeur des hommes et des femmes sur le marché du travail et, de proche en proche, dans toutes les dimensions de l’existence. La résistance à l’Europe des banquiers, et à la restauration conservatrice qu’ils nous préparent, ne peut être qu’européenne. » ((Pierre Bourdieu, 1997, dans R.M. Jennar, «Europe, la trahison des élites », op.cit.)).

Comme si certains avaient la prérogative de définir le contenu sémantique de l’Europe, qui une fois fixé leur paraîtrait immuable, ils voient dans tout ce qui contredit ce contenu une anti-européanité: « tout ceux qui ne sont pas avec moi sont contre moi ».  Ce réflexe, que nous ne définirons pas comme européen car nous jouerions alors dans leur jeu, est celui d’une défense du sens qui a fait l’Europe, celui de la concurrence et du libre-échange, lui-même mythe du profit érigé en valeur suprême. Or, le postulat du « libre-échange » porte en lui-même la négation d’une possible unité européenne ; car unité suppose solidarité là où concurrence et compétitivité lui sont antagoniques. Pas d’autres choix, dés lors, pour dépasser l’aporie et enfin arrêter de nous repaître de leurs discours mensongers,  que de « détruire cette Europe. Pour en refaire une autre ((Lordon, F., « La crise de trop. Reconstruction d’un monde failli », Librairie Arthème Fayard, 2009, p. 254.)) »… en commençant, pourquoi pas, par pourfendre leurs idées reçues…

A.P

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